Annexe J – Proposition de loi visant à l’encadrement des coupes rases

Proposition enregistrée sous le numéro 3314 le 15 septembre 2020 présentée par 23 députés[1].

Les motifs invoqués dans cette proposition dont nous ne connaissons pas la suite qui y a été donnée sont exposés ci-dessous :

Nous devons choisir à l’avenir entre un modèle industriel qui considère nos forêts comme de simples gisements de bois, ou un modèle écologique, social et démocratique, qui respecte les forêts non seulement pour la biodiversité qu’elles abritent, les services écosystémiques qu’elles fournissent et comme atouts contre le dérèglement climatique, mais également pour les femmes et les hommes qui y travaillent.

Depuis plusieurs années, citoyens, élus, associations de protection de l’environnement s’élèvent contre les coupes rases dans les forêts publiques et privées. Aussi appelées « coupes à blanc », elles se définissent par un abattage de la totalité des arbres d’une parcelle d’une forêt.

Les coupes rases sont majoritairement utilisées dans le but d’extraire un maximum de bois le plus rapidement possible, sans tenir compte de l’écosystème forestier, ni même de l’âge de maturité des arbres.

De plus, cette pratique se répand dans des forêts dites « de feuillus », diversifiées, avec plusieurs essences, des arbres d’âges différents, et donc plus résilientes au changement climatique, dans le but de les convertir en plantations mono-spécifiques de résineux.   Celles-ci correspondent à des champs d’arbres, coupés souvent à 40 ou 60 ans afin que le diamètre à cet âge soit adapté aux dimensions des engins utilisés. Par exemple, dans le massif du Morvan, 50 % de forêts de feuillus ont été remplacées par des forêts mono-spécifiques de résineux, dans une logique purement financière.

Les coupes rases, symboles de la gestion à court terme

Si ces coupes rases sont de plus en plus nombreuses, c’est parce que nos forêts françaises sont en voie d’industrialisation, prises dans le triptyque : plantation, monoculture, coupe rase. D’après un récent rapport des associations Fern et Canopée, la comparaison des données de l’Inventaire forestier montre que les coupes rases s’étendent sur le territoire, précédant l’installation de plantations mono-spécifiques, qui concernent 14 % de la surface forestière française en 2016.

Nous affirmons que cette pratique est contraire à des principes écologiques, tels que définis dans la Charte de l’environnement et en préambule du code forestier : « sont définis d’intérêt général : la conservation des ressources génétiques et de la biodiversité forestières », « la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les bois et forêts, […], contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique ».

De nombreuses études scientifiques font état de l’incidence négative des coupes rases sur le stock de carbone contenu dans les sols forestiers. D’après l’Inventaire national forestier, les forêts stockent plus de la moitié du carbone des terres émergées. Elles jouent donc un rôle déterminant dans la régulation du CO2 du niveau atmosphérique. Plus de la moitié du carbone stocké en forêt l’est dans le sol. Or, la coupe rase libère dans l’atmosphère une partie du carbone stocké dans le sol. Après la coupe rase, il s’ensuit généralement un arrachage des souches, une mise en andains et un travail du sol qui amplifient encore la libération du carbone du sol et ce pendant plusieurs décennies. La mise à nu des sols amplifie sa dégradation. Or, afin de lutter contre le dérèglement climatique, nous devons renforcer le rôle des forêts comme puits de carbone.

Les températures maximales diurnes sont plus élevées d’environ 5 à 10°C après une coupe rase que sous couvert forestier. Ce phénomène de réchauffement du microclimat perdure jusqu’à ce que le couvert forestier soit reconstitué, ce qui peut prendre plus d’une dizaine d’années. La pratique de la coupe rase réchauffe donc le climat local.

Les coupes rases sont également une menace pour la biodiversité forestière, puisqu’elles délogent les mammifères, les oiseaux et les insectes qui vivent dans le bois vivant et mort, détruisent le cortège de champignons, les plantes qui contribuent à l’écosystème forestier et empêchent la faune du sol de se reconstituer.

Elles sont également responsables de l’érosion des sols situés en pente, et de leur appauvrissement, ce qui accroît le risque d’une mauvaise régénération de la station forestière.

Elles peuvent avoir des effets dévastateurs sur le filtrage des eaux, avec le passage d’engins lourds qui endommagent les sols, ayant pour conséquence une modification du ruissellement des eaux et une dégradation du débit des sources et des cours d’eau. La destruction de forêts feuillues entraîne également la diminution des stocks d’eau souterrains.

Enfin, les forêts plantées après coupes rases sont moins résilientes aux événements extrêmes comme les tempêtes, les incendies et les proliférations d’insectes.

Un modèle industriel qui maltraite les femmes et les hommes

Les forestiers ne choisissent pas leur métier par hasard, ils le font avec passion. De nombreux forestiers, travaillant dans des forêts publiques au sein de l’Office national des forêts, ou dans des forêts privées, redoutent la réduction de leur profession à de simples « coupeurs d’arbres ». Les agents de l’Office national des forêts se voient privés de leur mission d’intérêt général et souffrent de cette pression économique imposée à l’établissement depuis des décennies. La coupe rase, motivée par une demande croissante de bois pour l’industrie, est un déni de leur expertise.

La forêt : un bien commun.

Nous pouvons et devons faire autrement !

Nous devons résister à la logique extractiviste qui envisage nos forêts comme un capital. D’autres pays l’ont fait avant nous : la Suisse a interdit les coupes rases en 1876 et la loi forestière de 1991 précise que « les coupes rases et toutes les formes d’exploitation dont les effets pervers peuvent être assimilés à ceux des coupes rases sont inadmissibles ». En Allemagne, l’ensemble des Länders a voté des législations restrictives sur la surface maximale des coupes. En Autriche, toute coupe de plus de 2 hectares est interdite, et celles supérieures à 0,5 hectares doivent faire l’objet d’une autorisation spéciale.

De nombreuses associations, groupements forestiers, citoyens et citoyennes montrent qu’il existe des alternatives, et que cette pratique n’est ni écologiquement viable, ni économiquement rentable. Les coupes rases effectuées dans le cadre de forêts privées sont promues par des grosses coopératives et sont très coûteuses pour les propriétaires ; elles nécessitent un investissement important et risqué par le propriétaire forestier en aval de la coupe et lors de la replantation. Or, la régénération naturelle, les coupes progressives, la sylviculture à couvert continu ont fait leurs preuves et s’avèrent même plus rentables sur le moyen et long terme.

Le Président de la République disait dernièrement que la forêt était un bien commun. Si nous voulons véritablement en faire un bien commun, nous devons dire stop à certaines pratiques qui visent à soumettre la forêt à l’industrie. Nous devons préserver la multifonctionnalité des forêts, leurs fonctions sociales et écologiques. Les arbres peuvent vivre jusqu’à 500 ans, nous ne pouvons les plier au régime de l’immédiateté, dans un raisonnement financier de court terme qui sacrifie les générations futures.

Dans la législation actuelle, la pratique des coupes rases n’est pas suffisamment encadrée : aucun seuil de surface maximal de coupes rases n’est défini dans la loi. Les départements fixent un seuil, audelà duquel il suffit pour les propriétaires de demander une autorisation à la préfecture pour réaliser une coupe. Dans le cas des forêts publiques, c’est l’Office national des forêts qui élabore les documents de gestion en référence au schéma national d’aménagement, mais là encore, il n’y a pas de contrainte claire s’agissant des coupes rases. Ainsi, cette proposition de loi vise à interdire les coupes rases sur une surface supérieure à 2 hectares. Une exception est faite en cas d’impasse sanitaire, précisée au III de l’article 2.

Suit la proposition de loi rédigée ainsi :

Article 1er

L’intitulé de la section 2 du chapitre IV du titre II du livre Ier du code forestier est ainsi rédigé :

« Interdiction de coupe ».

Article 2

L’article L. 1245 du code forestier est ainsi rédigé :

« Art. L. 1245. – I. – Dans les bois et forêts sont interdites les coupes rases ou coupes à blanc, définies comme l’abattage en un seul tenant de la totalité des arbres d’une parcelle, sur une surface de plus de 2 hectares, sauf en cas d’impasse sanitaire, constatée par une autorité compétente dans des conditions définies par décret.

« II. – Toute coupe rase sur une surface comprise entre 0,5 et 2 hectares ne peut être réalisée que sur autorisation du représentant de l’État dans le département, après avis, pour les bois et forêts des particuliers, du Centre national de la propriété forestière.

« III. – L’impasse sanitaire mentionnée au I est définie par décret selon deux critères :

«  1° un état sanitaire fortement compromis, défini par au moins 50 % du couvert arborescent constitué d’arbres présentant au moins 50 % de branches fines mortes ou de défoliation.
« 2° Une absence de régénération naturelle.

« IV. – L’interdiction mentionnée au I est intégrée aux documents d’orientation et de gestion prévus aux articles L. 1221 à L. 1223. »

Article 3

Au premier alinéa de l’article L. 1246 du code forestier, les mots : « un seuil arrêté par la même autorité dans les mêmes conditions » sont remplacés par les mots : «  2 hectares et justifiée par l’impasse sanitaire mentionnée au II de l’article L. 1245 ».

Article 4

Au premier alinéa de l’article L. 1632 du code forestier, les mots : « à l’article» sont remplacés par la référence : « aux articles L. 1245 et ».

[1] Mathilde Panot, Jean‑Luc Mélenchon, Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Annie Chapelier, Éric Coquerel, Alexis Corbière, Frédérique Dumas, Elsa Faucillon, Caroline Fiat, Albane Gaillot, Bastien Lachaud, Michel Larive, Sébastien Nadot, Danièle Obono, Valérie Petit, Loïc Prud’homme, Adrien Quatennens, Jean‑Hugues Ratenon, Muriel Rressiguier, Sabine Rubin, François Ruffin, Bénédicte Faurine.