Article de Pascal Charoy publié dans de Forêts de France n°610 (janvier/février 2018). Pour en savoir plus sur Forêts de France et/ou vous abonner : cliquez ici
En Lorraine et en Alsace, la forêt privée est plus morcelée que la moyenne. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si le CRPF a pris le problème à bras-le-corps depuis quinze ans.
Susciter les rencontres entre acheteurs et vendeurs
« Nous avons considéré, en Lorraine, que le morcellement était un facteur limitant à la mobilisation de bois, souligne Philippe Laden, adjoint au directeur du CRPF. Nous avons donc engagé des actions d’amélioration foncière et de gestion concertée dans les territoires. Nous entendons un discours vieilli qui consiste à dire que les propriétaires sont trop attachés à leurs parcelles pour vendre. C’était vrai il y a cinquante ans. Lorsque l’on sonde les propriétaires, ils vous répondent en effet qu’ils ne sont pas vendeurs, mais si on leur trouve un acheteur qui leur plaît et que le prix est correct, on peut faire bouger les choses. »
Il faut toutefois susciter les rencontres. Sans une animation de terrain, il ne se passera rien. Le CRPF et l’ensemble des partenaires ont donc intégré dans les plans pluriannuels régionaux de développement forestiers une partie regroupement foncier. Et tout commence par des réunions publiques. « Si nous invitons les propriétaires pour leur parler de sylviculture et d’augmentation de la récolte, nous n’aurons que très peu de monde, observe Philippe Laden. Si nous venons pour parler de leur patrimoine –souhaitent-ils vendre, acheter ou simplement identifier leurs parcelles ?–, là, les propriétaires viendront nombreux. »
9 000 ha sous documents de gestion durable
Le soutien financier des conseils départementaux et de la Région Alsace a lui aussi joué un rôle non négligeable. Après la tempête de 1999, le CRPF a obtenu auprès des collectivités locales une aide à l’achat des petites parcelles pour compenser les frais de notaire trop élevés par rapport à la valeur de ce foncier. Cela fait globalement douze ans que les départements soutiennent financièrement les actions d’animation menées sur le terrain. Et cela marche. Durant cette période, en Lorraine et en Alsace, 8 976 ha de petites forêts ont accédé à un document de gestion durable grâce au regroupement foncier. Il y a désormais 3 439 ha sous PSG et 5 537 ha sous CBPS. C’est loin d’être négligeable.
Le travail mené à Masevaux (Vosges alsaciennes) a permis de réunir sous un document de gestion durable 800 hectares de forêts initialement morcelées (surfaces en violet). © CRPF Lorraine-Alsace.
L’essentiel de ces regroupements a été suscité par les actions d’animation de Forestiers d’Alsace, fédérant tous les intervenants. « Dans les secteurs de forte animation, nous avons impacté de 15 à 20 % les petites forêts et parfois plus. C’est le cas dans la vallée de Masevaux, dans les Vosges alsaciennes (Haut-Rhin), où les actions ont permis de regrouper 28 % de petites parcelles. Et c’est le cas de très nombreux secteurs de notre région. »
Depuis 2014, le CRPF et le conseil départemental mènent dans la Meuse une action originale d’aide groupée à l’achat ou à l’échange de parcelles. À Ancerville, la forêt privée s’étend sur 149 ha. Elle est partagée entre 450 propriétaires dont 326 possèdent moins d’un hectare. Avec le soutien de Fransylva Meuse, le CRPF a donc réuni les candidats à l’achat et à la vente, avec l’objectif de faire passer 40 % de la surface considérée en unités de plus d’un hectare. L’innovation réside dans la formalisation des ventes et échanges qui ne donneront pas lieu à un acte notarié. Les mutations seront concrétisées par le procès-verbal de l’opération, dans le cadre des échanges et cessions d’immeubles forestiers (ECIF) prévus par le code rural. Les frais sont entièrement assumés par le conseil départemental.
Les propriétaires appellent à une simplification des actes
Non loin d’Ancerville, Gérard et Mireille Couroux observent cette procédure avec envie. Ces deux retraités, propriétaires de 137 ha, auraient bien aimé bénéficier chez eux d’un « remembrement » forestier. Cela fait en effet cinquante ans que le couple de Velaines achète des parcelles forestières pour composer leur forêt qu’ils ont baptisée « Forêt du gros sapin ». Partis de rien en 1965, ils ont réussi, à force de conviction et de démarchages incessants, à réunir 1 226 parcelles pour former un ensemble cohérent à deux pas de leur maison. Il a fallu pour cela passer par cent soixante actes notariés !
« Il faut absolument simplifier la procédure d’achat, insiste Gérard Couroux. En 1965, pour un achat de parcelle lors d’une adjudication publique, nous avions une copie de l’ensemble des parcelles vendues lors de cette adjudication ; cela tenait sur une simple feuille A4 avec les numéros de parcelles et cela servait d’acte. Aujourd’hui, un acte notarié comporte 25 pages, dont 13 consacrées aux dangers en tout genre : nucléaire, matières dangereuses dans les canalisations, pollution, installations classées, séismes, cavités souterraines, risques d’inondation. À cela viennent s’ajouter 11 pages de description et d’historique de chaque parcelle. Tout cela pour 50 ares de bois ! »
Le propriétaire comprend très bien que les notaires ne gagnent pas d’argent sur ces ventes, mais il leur demande d’accélérer le mouvement ! « Actuellement, j’ai des parcelles d’une cinquantaine d’ares au total qui sont en attente depuis quatorze mois. Le notaire m’annonce que ce sera peut-être signé en janvier… »
Comment convaincre les propriétaires sans culture forestière ?
Sur le terrain, la prospection demeure très compliquée, Gérard Couroux se heurte à l’ignorance des gens. « Quand vous proposez 50 € pour une enclave de deux ares sur laquelle il n’y a pas grand-chose – ce qui met tout de même l’hectare à 10 000 € ! – le prix paraît ridicule. Quand vous annoncez cela, les gens vous disent que ce n’est pas assez. Le travail de regroupement que je mène ne les intéresse pas. Ils veulent obtenir le maximum. »
Un peu sur le modèle d’Ancerville, Gérard Couroux souhaiterait des opérations d’achat/vente qui donneraient lieu, sur un secteur, à une réunion annuelle avec mise à prix des parcelles. « À l’issue de la vente, vous avez un seul acte pour tout le monde, c’est ainsi que procèdent les Domaines, pourquoi ne ferions-nous pas la même chose ? »
Reste la question de l’animation foncière. Qui va susciter le rapprochement entre acheteurs et vendeurs ? Selon Gérard Couroux, le CRPF est le mieux placé, mais les finances font cruellement défaut. « Nous avions deux techniciens du CRPF qui travaillaient sur la mobilisation des petites forêts, et au préalable sur le regroupement, et faisaient du bon travail dans la Meuse ; mais faute de crédit, il n’y a plus personne depuis le mois de juin. Et on nous dit qu’il faut mobiliser davantage, cherchez l’erreur ! »
Pascal Charoy