Une lecture envoûtante… et pernicieuse
La Vie secrète des arbres offre un bon moment de lecture. Les phrases sont bien tournées, le style est varié, le rythme est soutenu grâce à la diversité des sujets abordés au fil des chapitres. Et pourtant, en tant que forestier, impossible de rester indifférent et de se laisser bercer par les mots et l’ambiance forestière mystérieuse. Nous vous proposons dans cet article d’exposer le point de vue de deux forestiers: l’un ingénieur, l’autre exploitant forestier, tous deux sincèrement attachés à la forêt et convaincus qu’il est nécessaire de la gérer pour l’embellir.
Cet anthropomorphisme qui rend les forestiers criminels
Le principal reproche formulé à l’égard de ce livre, La Vie secrète des arbres, porte sur l’anthropomorphisme filé tout au long des chapitres. Il faut admettre que la comparaison choisie entre les arbres et la société humaine a du bon : elle permet au lecteur peu connaisseur des sujets forestiers de se projeter. Il paraît évident qu’il est plus aisé de comprendre le système racinaire des arbres à travers une comparaison fortuite avec le « Web de la forêt » plutôt que par le recours au jargon scientifique et forestier, peu lisible.
« On ne conteste pas les liaisons racinaires entre les arbres, mais de là à dire que c’est une forme d’amitié ? Ces interprétations empreintes d’anthropomorphisme me laissent perplexe et rendent même la lecture horripilante, puisqu’elles placent le forestier qui travaille en forêt au rang du grand méchant », commente Thomas Formery. Qui accepterait que l’on prive un enfant de sa mère, que l’on inflige des souffrances aux êtres vivants et intelligents que sont les arbres ? Personne, bien sûr.
Thomas Formery
Thomas Formery est sylviculteur dans le Cher. Il a occupé le poste de directeur général du CNPF (Centre national de la propriété forestière), établissement public au service de la propriété forestière privée. Le terrain, il l’a appris à travers ses études à AgroParisTech Nancy puis à l’Engref Nancy; il l’a pratiqué pendant les trente premières années au cours de sa carrière dans différents CRPF du nord de la France et à l’IDF (Institut de développement forestier), puis il l’a vécu à travers les aspects managériaux et administratifs qui incombaient à ses responsabilités au sein de l’IDF puis du CNPF.
Vigilance avec les incohérences sylvicoles!
L’Académie d’agriculture l’a bien rappelé: « Nombre de réponses [apportées par ce livre] prêtent malheureusement le flanc à la critique: sources absentes ou non vérifiables, extrapolations non justifiées, interprétations abusives et même erreurs manifestes. »
Sans entrer dans des considérations techniques sylvicoles, il est important de réfléchir à la conclusion de ce forestier allemand.
« Au fil du livre, Peter Wohlleben aboutit à un raisonnement manichéen qui laisse le choix entre des plantations monospécifiques de résineux (l’horreur absolu dans son esprit) ou une forêt “naturelle” ayant vocation à redevenir primaire, excluant toute intervention humaine (ici, le nec plus ultra de l’équilibre forestier selon P.W.) », souligne Thomas Formery. Or il est évident que le territoire français ne peut pas entrer dans ce schéma: nos forêts recueillent 136 essences, essentiellement feuillues, et la diversité des territoires et des hommes qui les façonnent rend irréaliste cette vision réductrice !
L’exploitation forestière en constante progression
Il faut admettre que la gestion forestière n’a pas toujours été vertueuse. Les générations qui nous ont précédés avaient peu de conscience écologique et certains terrains forestiers ont été malmenés par une exploitation archaïque peu soucieuse de la pérennisation de la ressource. Denis d’Herbomez est un précurseur dans l’exploitation forestière durable. « Il y a dix-sept ans, on me prenait pour un illuminé quand j’exigeais que nos engins fonctionnent à l’huile biodégradable (un fonctionnement qui était sept fois supérieur à celui avec de l’huile minérale). Maintenant, ces méthodes que j’applique depuis des années deviennent la norme. Et il faut s’en réjouir, cela traduit une grande progression dans le respect de la nature », explique-t-il. Les exploitants forestiers reconnus dans la filière utilisent des méthodes douces pour l’environnement (kit de franchissement des cours d’eau, analyse du sol pour adapter le passage, mise en place de branchages et de chenilles pour augmenter la portance des engins, pneus extrêmement larges).
Denis d’Herbomez
Denis d’Herbomez est exploitant forestier en Bourgogne. Il a commencé son travail en forêt par le métier de bûcheron, puis de débardeur. En 1982, il crée son entreprise d’exploitation forestière avec la particularité d’être un précurseur dans la mise en place de méthodes exigeantes pour le respect de l’environnement. Aujourd’hui, il emploie 35 personnes en direct et son activité génère plus de 100 emplois dans le milieu rural en comptant les partenaires, fournisseurs et activités associés.
Il y a urgence à recréer du lien avec les urbains
« Notre métier d’exploitant forestier consiste à entretenir et à embellir la forêt ! Mais la société n’en a pas conscience. Pourtant, c’est nous qui avons intérêt à la préserver, car c’est notre environnement du quotidien et aussi notre source de revenus qu’il faut maintenir pour les générations à venir », affirme Denis d’Herbomez. « Est-ce que j’aime les arbres ? J’adore la forêt! II n’y a pas deux jours qui se passent sans que j’aille me promener en forêt. On y voit les animaux, on y sent les odeurs et l’ambiance est magique », poursuit-il. Et cela est compatible avec l’intervention de l’homme en forêt pour sa gestion, contrairement à ce que pensent les environnementalistes militants. « S’ils veulent de la biodiversité, il faut que l’homme intervienne. La forêt, c’est comme la société, il y a des règles. La nature observe une seule règle: que le plus fort gagne. Par chez nous, si demain l’homme n’intervient plus, il n’y aurait que du hêtre sur du sol calcaire, essence d’ombre.» Alors, il devient urgent de recréer du lien avec les citoyens déconnectés de la ruralité.
Victoire Reneaume
Article publié dans Forêts de France n°609 de décembre 2017 (pages 28 & 29).
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