La vie secrète des arbres : mode d’emploi

Si vous n’avez pas encore lu l’ouvrage de Peter Wohlleben, voici un résumé des informations scientifiques et des interprétations qu’il livre à ses lecteurs. Cette synthèse se veut neutre, sans parti pris; elle vous permettra d’appréhender les nombreuses questions que soulève le livre sur la gestion de nos forêts.

Les arbres communiquent par leurs racines

FdF 2017-609 p 22 Vie secrètePeter Wohlleben est un technicien forestier allemand qui exerce dans une forêt publique au sud de Cologne, dans une région de collines. Son livre est le fruit d’une lente évolution de sa perception de la forêt. D’abord garant de la production de bois, le gestionnaire s’est peu à peu mué en observateur attentif des fonctionnements de la forêt, des hêtres en particulier. Il est ainsi parvenu à cette conclusion énoncée dès la deuxième page de son livre : « Quand on sait qu’un arbre est sensible à la douleur et a une mémoire, que des parents-arbres vivent avec leurs enfants, on ne peut plus les abattre sans réfléchir ni ravager leur environnement en lançant des bulldozers à l’assaut des sous-bois. Cela fait déjà vingt ans que ces engins sont bannis de mon district. Si quelques troncs doivent néanmoins être récoltés, les ouvriers forestiers procèdent au débardage en douceur, avec des chevaux de trait. Une forêt en bonne santé, voire, osons le dire, une forêt heureuse est nettement plus productive, donc plus rentable. »

Les vingt premières pages du livre, qui en compte 253, ont largement contribué à son succès. Peter Wohlleben y développe l’idée que les arbres communiquent entre eux par leurs racines. Non pour échanger des banalités. Ce réseau souterrain servirait de lien solidaire pour nourrir les individus malades ou les « arbres-enfants » privés de lumière. Les racines auraient même un rôle d’avertisseur en cas de danger. Face à une agression, « les informations sont transmises (à la communauté) chimiquement, mais aussi, ce qui est plus surprenant, électriquement, à la vitesse d’un centimètre par seconde », nous apprend l’auteur. Et s’il existe un trou dans le réseau, « les champignons sont appelés à la rescousse pour garantir la continuité de la transmission ». Ainsi prévenus, les arbres peuvent organiser leur protection contre les parasites, les insectes ravageurs, ou même le gibier en déclenchant des substances odorantes par les feuilles.

Anthropomorphisme

FdF 2017-609 p 23 Vie secrèteAmitié, langage, solidarité, amours, école…, les chapitres du livre vont ensuite décliner les fonctionnements de la forêt idéale dans laquelle l’homme n’intervient plus ou très peu. Celui-ci est réduit à un rôle d’observateur, mais les comportements des arbres sont toujours analysés à l’aune de nos propres règles sociales. Ils peuvent s’en éloigner radicalement lorsque la mère-arbre, atteinte par l’âge limite, tombe au sol au cours d’un orage d’été en écrasant plusieurs de ses enfants. Très largement utilisé, l’anthropomorphisme sert à diffuser des connaissances, référencées en fin d’ouvrage, et à maintenir l’intérêt du lecteur. Celui-ci apprendra les relations, amicales ou franchement hostiles, que les arbres entretiennent avec les nombreuses petites bêtes qui peuplent les sous-bois, des plus connues, comme le pic, aux infimes acariens présents dans le sol. Pourquoi les arbres perdent-ils leurs feuilles avant l’hiver, pourquoi celles-ci changent-elles de couleur, comment les arbres se déplacent-ils lorsque le climat leur est moins favorable? Le lecteur mesurera aussi les interactions complexes entre l’arbre et ses éléments nourriciers: le sol, l’eau, la lumière et tous les bienfaits qui découlent de ces relations : stockage de carbone, production d’oxygène, qualité de l’eau, biodiversité, régulation du climat. Le livre diffuse auprès de son large public des informations essentielles sur les services que la forêt rend à l’environnement. Mais l’auteur exige en contrepartie de gros sacrifices : la fin de la sylviculture moderne qui consiste à remplacer les vieux arbres par des jeunes. Rajeunir la forêt? « Aux dires des associations de propriétaires forestiers et des représentants de sylviculteurs, ce serait le seul moyen de stabiliser les forêts qui pourraient alors produire beaucoup de bois et ainsi capter et transformer un beau volume de CO², atmosphérique », observe l’auteur. Il poursuit : « Prôner le rajeunissement des forêts pour les revitaliser s’apparente à de la tromperie […]. À l’aune humaine, à 120 ans, un arbre termine juste sa scolarité. Si nous voulons que les forêts jouent pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique, nous devons les laisser vieillir. »

Revenir aux forêts primaires

Pour le monde forestier et les utilisateurs de bois, ce point de vue pose évidemment un problème. Peter Wohlleben plaide pour un retour à la forêt primaire protégée des interventions humaines qui abîment les sols et perturbent les écosystèmes. Il décrit à la fin de son livre le lent processus naturel qui conduira en cinq siècles du passage de boisements artificiels de conifères à une seconde génération de feuillus, stabilisée dans un équilibre pérenne. Il ne propose pas de solution pour le remplacement du matériau bois, ce n’est pas le sujet du livre.

La conclusion interroge sur les actuelles conditions d’exploitation des forêts. Selon l’auteur, les arbres sont bel et bien doués d’une intelligence et disposeraient « d’une aptitude à se souvenir et à ressentir des émotions [qui] tendrait à effacer la frontière entre monde végétal et animal ». Peter Wohlleben parvient à la conclusion que « nous devons traiter les arbres comme nous traitons les animaux en leur évitant des souffrances inutiles. L’exploitation du bois doit se faire dans le respect des besoins spécifiques des arbres. Cela signifie qu’ils doivent pouvoir satisfaire leurs besoins d’échange et de communication, qu’ils doivent pouvoir croître dans un véritable climat forestier, sur des sols intacts et qu’ils doivent pouvoir transmettre leurs connaissances aux générations suivantes. Au moins une partie d’entre eux doit pouvoir vieillir dans la dignité, puis mourir de mort naturelle. » Ceci laisse peu de place aux professionnels de la forêt. Peter Wohlleben ne ferme cependant pas totalement la porte à la gestion forestière. Il voit dans la futaie jardinée une forme de culture biologique « respectueuse des processus naturels ».

Pascal Charoy

Article publié dans Forêts de France n°609 de décembre 2017 (pages 22 & 23).
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