Mériem Fournier : « Emmenons les gens en forêt! »
La directrice du campus AgroParisTech de Nancy estime que les acteurs de la forêt, chercheurs et professionnels, doivent davantage parler avec les citoyens.
Comment améliorer la communication de la filière forêt-bois ?
Nous n’arriverons à rien si nous n’emmenons pas les gens en forêt pour leur montrer ce que nous faisons. Nous devons cesser d’être sur la défensive et prendre l’initiative de médiations avec la société. Nous devons amener les gens à réfléchir à ce que serait la forêt dans dix, vingt ou cinquante ans. Quand un forestier entre dans une forêt, il est capable de voir comment elle était il y a cinquante ans, comment elle sera dans 50 ans, C’est un don incroyable ! La elle sera dans plupart des gens ne savent pas faire ça, ils voient la forêt comme un décor de théâtre. Nous devons absolument partager ce savoir avec les citoyens sinon ils ne comprendront jamais pourquoi il faut couper des arbres. Et ces initiatives doivent partir des territoires, sans forcément de gros moyens financiers. Je rêve aussi d’un bûcheron médiateur qui expliquerait sur le terrain que son métier ne consiste pas à couper des arbres, mais à alimenter en bois des artisans. Les Français aiment bien les artisans, un peu moins les industriels…
Vous avez écrit dans une récente tribune que les industriels
ne pourront pas passer en force…
Il faut que l’industrie du bois puisse aussi se faire aimer de la société, quitte à modifier un peu ses pratiques, s’adapter par exemple à la demande de plus en plus forte pour du bois local, du bois français. Malheureusement, l’industrie ne fait pas rêver, il faut donc insister sur l’artisanat et le savoir-faire. Le monde de l’entreprise est intéressant à plus d’un titre. On voit de grands groupes capables de dépenser beaucoup d’argent pour améliorer leur image, comme financer des plantations à l’autre bout du monde. Pourquoi ne pas leur demander de participer au renouvellement des forêts en France? Pourquoi ne pas utiliser la forêt pour introduire du social et de l’environnemental dans l’entreprise en proposant au personnel des activités utiles en forêt contribuant à l’esprit d’équipe ? Lorsque l’ONF communique en forêt avec le public, c’est essentiellement sur la nature, pour reconnaître les arbres, les animaux. L’office communique plus rarement sur ses métiers…
Un exemple de communication désastreuse?
Je pense à L’Est républicain qui a titré de manière alarmiste récemment sur l’exportation de bois vers l’Asie: « Les forêts du Grand Est se vendent à la Chine. » C’est un sujet éminemment complexe, qui oppose des acteurs de la filière, et en simplifiant la présentation de ce conflit dans un grand quotidien régional, que retient le grand public? Que l’Est est la proie d’une déforestation, comme en Amazonie ! C’est pour moi l’image d’une communication désastreuse !
Georges-Henri Florentin « Nous devons répondre
aux questions de nos concitoyens »
Le directeur général de FCBA, également membre de l’Académie d’agriculture, souhaite que la filière s’empare des questions psychosociales liées à la forêt et à son exploitation.
Le livre de Peter Wohlleben risque de renforcer la peur
de l’exploitation forestière chez le grand public.
Comment y remédierµ ?
Nous avons ces dernières années beaucoup misé sur les sciences dures, je le dis pour FCBA comme pour beaucoup, nous sommes sans doute leaders sur les questions de mécanique, de physique, de chimie, de biologie en matière de bois, mais il y a très peu de temps que l’on se préoccupe des questions psychosociales. Nos organisations professionnelles et les acteurs de communication ont besoin de connaissances dans ce domaine pour répondre aux questions de nos concitoyens. Cette peur qui se manifeste au XXIème siècle, dont nous ne connaissons pas les déterminants, n’est pas nouvelle. J’ai retrouvé des recensions de textes sumériens, il y a – 3 500 ans, où l’on voit que le découplage entre la forêt, ses aspects mythiques et la récolte du bois existait déjà.
Quelles sont les actions de l’institut FCBA dans ce domaine?
Nous disposons de peu d’études scientifiques sur l’acceptabilité de la coupe, voire des essences considérées comme étrangères. C’est pourquoi nous lançons une thèse sur le sujet. Nous avons besoin de comprendre les mécanismes psychosociaux qui font que depuis très longtemps on a toujours eu dans la mythologie, dans la culture, une crainte de l’exploitation forestière. Relisons le poème de Pierre de Ronsard écrit au XIVème siècle contre les bûcherons de la forêt de Gastine : « Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras; ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas. Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ? » Il faut disposer d’éléments objectifs pour construire une communication efficace et convaincante sur l’acceptabilité des coupes. Je m’y attache.
Dire que le bois est un matériau renouvelable, sain et écologique
ne suffit donc pas?
Nos concitoyens sont demandeurs de construction en bois, mais ils ont soif de connaissance sur les bienfaits du bois. Pour faire la promotion du matériau, nos voisins scandinaves disent: « Si tu es malade, va habiter dans une maison en bois », c’est une certitude mais nous n’avons pas suffisamment d’éléments scientifiques pour prouver ce bénéfice. Lors du congrès Woodrise sur les immeubles de grande hauteur, nous avons invité nos collègues japonais car eux ont investi dans l’analyse du bien-être en faisant vivre des gens dans des maisons et en analysant leur sommeil. Ce sont des axes de travail que nous lançons à FCBA. Pouvoirs publics et organisations professionnelles sont-ils prêts à investir dans ce domaine ? C’est une autre question.
Propos recueillis par Pascal Charoy
Rencontres publiés dans Forêts de France n°609 de décembre 2017 (page 33).
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