Article de Pascal Charoy publié dans de Forêts de France n°610 (janvier/février 2018). Pour en savoir plus sur Forêts de France et/ou vous abonner : cliquez ici
Lutte contre le morcellement forestier : les notaires suscitent le débat
Le Conseil supérieur du notariat a réuni le 15 décembre dans ses locaux parisiens une centaine de propriétaires, notaires et gestionnaires forestiers pour faire le point sur la question cruciale du morcellement. « Par son maillage territorial, le notariat est au contact direct des propriétaires forestiers et de leurs préoccupations » a justifié dans l’introduction de ce colloque Jean-Christophe Hoche, président de l’Institut notarial de l’espace rural et de l’environnement. Il convient de saluer cette initiative qui a permis d’évaluer l’efficacité relative des dispositifs de lutte contre le morcellement et de proposer des voies de progrès afin d’ouvrir à la gestion les petites forêts.
Le droit de préférence, outil discuté mais incontournable
Les chiffres rappelés en préambule par Jean-Yves Henry, le secrétaire permanent de l’association des sociétés et groupements fonciers et forestiers, ont en apparence peu bougé ces dernières décennies. La France compte 2,9 millions de propriétaires de parcelles boisées de moins de 4 ha, couvrant un peu plus de trois millions d’hectares souvent livrés à eux-mêmes. Un chiffre à rapprocher de la surface totale de la forêt privée : 12,5 millions d’ha. L’ASFFOR estime que seuls 40 % des propriétaires privés, les plus gros, s’occupent de leurs biens… A ce stade, Luc Bouvarel, directeur de Fransylva, nuance le constat. L’analyse des statistiques sur 80 ans montre que plus de 3,4 millions d’ha ont été regroupés au XXe siècle, grâce à l’augmentation des propriétés de 10 à 100 ha. Le morcellement ne s’aggrave pas, il aurait plutôt tendance à diminuer.
Comment parvenir à réunir les pièces du puzzle forestier, auquel s’ajoute la parcellisation des propriétés de taille moyenne, c’est-à-dire l’éparpillement des biens d’un même propriétaire ? En 2010, la Fédération des forestiers privés a obtenu du législateur l’instauration d’un droit de préférence lors de la vente d’une parcelle boisée de moins de 4 ha. Un propriétaire est contraint de vendre à son voisin si celui-ci se déclare intéressé pour agrandir son propre territoire forestier. Les notaires dressent un bilan mitigé de cette mesure. Christophe Gourgues, notaire dans les Landes, regrette que cette loi soit arrivée par le jeu des amendements sans étude d’impact préalable. Elle a rapidement posé de nombreuses questions et alourdi le processus de vente des petites parcelles. « Le législateur veut nous faire abattre une forêt pour une boite d’allumette » a ironisé l’officier ministériel. Pas question, pour autant, de remettre ce droit en question. Il faudrait le simplifier et pourquoi pas décharger les notaires de cette mission. L’ombre d’un hypothétique opérateur foncier qui pourrait prendre en main ces aspects juridiques a plané en permanence sur le colloque (lire par ailleurs).
Baisse des frais de notaire mais allongement des procédures
Le coût des actes notariés sur ces petites parcelles constitue un autre problème. Avant 2016, sur les micro parcelles valant quelques dizaines d’euros, les frais de notaire faisaient exploser le coût de la transaction jusqu’à 450 % ! La loi Macron a plafonné les frais de notaire à 10 % de la valeur des parcelles boisées de moins de 4 ha. Les frais ont donc baissé mais les notaires sont accusés de faire traîner des procédures qui ne leur rapportent plus d’argent. « Quand nous préparions ce colloque, observe Luc Bouvarel, j’ai reçu 250 mails de propriétaires de toute la France me disant : « cela ne peut plus durer, nous sommes pris en otage avec le coût des actes ». Nous devons résoudre ce problème avec le Conseil supérieur du notariat et avec l’Etat. Lorsque nous avons travaillé sur le droit de préférence, nous avons commis l’erreur de ne pas associer les notaires à nos réflexions. Nous aurions ainsi évité bien des questions ».
La fiscalité peut elle aussi favoriser les regroupements et contribuer à limiter l’émiettement des forêts lors de la transmission d’un bien. Les notaires reconnaissent le plein effet du régime Monichon qui réduit de manière substantielle les droits de mutation lors d’une succession. Le DEFI (dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt) entraîne une réduction d’impôt lors d’un achat destiné à agrandir une forêt. II sera heureusement prorogé jusqu’au 31 décembre 2020. Fransylva aimerait que le législateur aille plus loin en supprimant les droits de mutation sur les petites parcelles ou en instaurant la perception triennale de l’impôt. Dans sa réflexion, la forêt privée va même jusqu’à envisager l’impossibilité de diviser des parcelles de moins de 4 ha.
Il n’y aura pas de remembrement forestier
Jusqu’où le gouvernement est-il décidé à aller dans sa politique d’incitation ? Pas beaucoup de réponse lors de ce colloque, mais une position ferme a été exprimée par Véronique Borzeix, sous-directrice de la filière forêt-bois au ministère. Il n’y aura pas de remembrement forestier, à l’image de ce que le monde agricole a connu dans les années 60. « Il faut en faire le deuil car son coût serait colossal pour l’État et tout le monde se souvient des guerres que le remembrement agricole a suscité dans les villages et les familles ». Le ministère reconnaît que les regroupements de gestion (coopératives, groupements forestiers, associations syndicales autorisées ou libres) peinent à lutter contre le morcellement et à augmenter la mobilisation de bois. Le dernier dispositif, le GIEEF, n’a pas encore produit tous ses effets mais il est porteur d’espoir « à condition d’ouvrir son champ à la forêt communale afin de travailler globalement sur un massif ». Au-delà de l’arsenal juridique et fiscal, Véronique Borzeix croit à l’efficience d’un nouvel outil qui se met en place en janvier 2018 : la plateforme numérique « La forêt bouge ». Elaborée par le CNPF et la filière forêt-bois, cette plateforme apportera au propriétaire une multitude d’informations et de conseils : localiser sa parcelle, trouver des gestionnaires de proximité, des entreprises pour réaliser ses chantiers mais également une bourse d’échange et de vente de parcelles. Les propriétaires qui souhaitent vendre ou acheter pourront se faire connaître sur le site. « Cela permettra une visibilité accrue du propriétaire et de ses intentions, un bon moyen d’aller aussi vers des mutualisations des chantiers et de la gestion concertée ».
Salves de questions dans la salle
Les propriétaires qui ont assisté au colloque ont multiplié les remarques et les questions pratiques. Le groupement forestier familial est-il la panacée pour éviter la division d’une forêt ? Pour la première génération oui, les choses se compliquent avec les générations suivantes. Pourquoi l’Etat ne prendrait-il pas en charge les frais de notaire des petites parcelles, pourquoi ne pas lever l’anonymat du cadastre ou se dispenser de l’origine de propriété pour alléger le travail du notaire ? Autant de mesures malheureusement inenvisageables ont répondu les intervenants. Un propriétaire du Lot a justement rappelé le rôle joué par l’attachement affectif à la propriété, avant de présenter les difficultés qu’il rencontre avec la SAFER pour racheter des parcelles boisées. Il ne faudra pas oublier, non plus, de se servir au mieux des outils portés par les territoires, les chartes forestières et autres plans de développement de massif.