Cet article, rédigé par Emmanuelle Degoy, est extrait du Dossier Bois-Énergie publié dans le numéro 607 (octobre 2017) de Forêts de France.
Pour en savoir plus sur la revue Forêts de France ou vous abonner : cliquez ici
UN TREMPLIN DE GESTION
Une valorisation pour les petits bois
La récolte du bois énergie présente l’avantage d’accepter toutes les essences sans distinction. « Via ce débouché, le propriétaire peut remettre dans une dynamique sylvicole des produits qui étaient jusque-là hors circuits et bien souvent laissés en forêt faute d’avoir atteint le seuil critique de la rentabilité », insiste Mathieu Fleury, directeur du développement de l’association Biomasse Normandie qui s’engage depuis trente-cinq ans dans la valorisation énergétique de la biomasse: « Accrus feuillus, ouverture de cloisonnements, taillis de faible valeur ou dépérissant, éclaircies, travaux d’amélioration, reliquats de places de dépôt… »
Et si en théorie les résineux produisent plus d’énergie au m3, « il n’existe pas une différence notable de rendement énergétique entre feuillus et résineux », précise Bruno de Monclin, président du CIBE, « d’autant que nos forêts sont remplies de feuillus ».
Un débouché complémentaire
Les travaux de sylviculture et l’exploitation des bois contribuent fortement au bon état sanitaire et au développement global des forêts. De manière générale, seulement 6o % du volume d’un arbre mature sont destinés à une valorisation en bois d’oeuvre. Le bois énergie est ainsi un bon complément pour que l’arbre soit valorisé dans son ensemble. Cette notion de complémentarité est centrale. La production de bois énergie est nécessaire à l’amélioration des peuplements pour les conduire vers la production de bois d’œuvre à long terme mais, dans une gestion durable et raisonnée, elle ne doit pas être prioritaire.
Comment répondre à la demande croissante?
Nous l’avons évoqué, en France, la ressource bois est largement sous-exploitée, « ce qui entraîne des tensions d’approvisionnement sur les grandes métropoles française », constate Bruno de Monclin. On estime que d’ici 2020, 20 millions de m3 de bois supplémentaires pourraient être mobilisables. La hausse de la demande devient un enjeu majeur de la gestion forestière. « Certaines techniques se développent comme le câble, les cisailles ou les broyeurs, mais ce n’est pas cela qui va permettre la récolte de millions de tonnes de bois », souligne le président du CIBE. « À cela s’ajoute un manque cruel de dessertes. »
La solution à la mobilisation supplémentaire du bois n’est au final pas tant technique qu’organisationnelle : « Le regroupement, notamment via des subventions, est une réponse à l’immobilisme des petites parcelles. » Les projets financés dans le cadre de l’AMI Dynamic bois entraînent localement une dynamique positive.
Précautions environnementales
Le forestier doit néanmoins rester vigilant aux risques d’appauvrissement des sols forestiers du fait de la récolte des rémanents. Attention à ne pas chercher la rentabilité maximale et laisser tout de même certains arbres morts en forêt. Le gestionnaire doit avant tout s’assurer qu’il n’exploite pas plus de bois que la forêt ne peut en produire et prévenir le renouvellement des parcelles.
Emmanuelle Degoy
Rencontre avec Hubert Ferron, propriétaire
Propriétaire forestier depuis douze ans, Hubert Ferron aime à se présenter comme un « vieux jeune sylviculteur ». Responsable de 125 ha dans la région de Moulins, il est à l’origine d’un groupement de propriétaires en faveur de la mobilisation du bois énergie.
L’exploitation du bois énergie m’est rapidement apparue comme un complément incontournable pour assurer le bien-être des chênes à la suite des coupes de bois d’œuvre. Après prélèvement par le bûcheron des bois de 10 cm de diamètre au minimum, il est nécessaire de laisser les rémanents plus petits au sol et d’exploiter le reste : la fonction du bois énergie est de permettre d’éclaircir et d’entretenir nos forêts. Pour que les rémanents soient évacués, ils doivent trouver un débouché rentable. Cette solution n’est envisageable que si l’on peut proposer un volume significatif. C’est pourquoi je suis allé à la rencontre de mes voisins pour leur présenter les avantages d’un regroupement. Nous avons ainsi réuni 2 000 ha au sein d’une SAS que nous avons appelée « Producteurs forestiers du Centre » et qui nous permet de vendre du bois en direct au sein de circuits courts. Le terme de « producteurs » n’est pas anodin, je ne voulais pas parler de « propriétaires » : nous ne sommes pas tant propriétaires que dépositaires d’une richesse que nous avons la responsabilité de préserver et de renforcer.
Ainsi regroupés, nous nous sommes adressés à diverses chaufferies avec lesquelles nous avons mis en place des contrats d’approvisionnement en 2016. Les travaux d’exploitation sont effectués par des ETF de la région et le broyage est réalisé en forêt. Le temps de séchage n’excède pas deux à six mois, ce délai permet d’obtenir un taux d’humidité entre 30 et 40 %. Les plaquettes sont ensuite chargées directement sur nos parcelles et pesées « entrée chaufferie » par le transporteur en vue d’établir un prix au kilo. Nous devons désormais nous habituer à penser en tonnes tant pour le bois énergie que pour le bois d’oeuvre car c’est ainsi que le bois est évalué dans l’industrie.
Cette nouvelle solution passe indubitablement par le regroupement qui nous permet bien sûr de valoriser en parallèle le bois d’oeuvre. Ce système a déclenché une prise de conscience chez les forestiers. Le bois énergie reste un marché de dupes si le produit n’est pas reconnu à sa juste valeur. Aujourd’hui, sur un prix d’achat de 65 €/t de plaquettes de feuillus, 1/3 revient au propriétaire. La totalité de cette somme est réinvestie dans l’entretien des sols, la remise en état des chemins et des places de retournement sans pour autant couvrir les coûts ni permettre une juste rémunération du travail des bûcherons qui se font par voie de conséquence de plus en plus rares. Il est temps que les propriétaires forestiers et leurs gestionnaires prennent conscience de cette situation et des solutions à envisager, à l’instar de nos voisins européens. Pour être durable, la forêt doit être rentable.
Propos recueillis par Emmanuelle Degoy
Rencontre avec François-Hugues de Champs, gérant
François-Hugues de Champs est gérant de trois groupements dont les forêts sont situées dans les départements du Cher, de la Nièvre, de l’Indre et du Puy-de-Dôme.
Quel est votre regard sur la filière bois énergie ?
La filière bois bûche est nettement inorganisée alors que la vente croissante de poêles modernes tire la consommation de bois de plus en plus sec. Le produit n’est pas très valorisé mais le débouché est assuré. Enfin, le marché de la plaquette est moins significatif dans la mesure où les installations nécessitent de lourds investissements. Quoi qu’il en soit, pour le propriétaire, la responsabilité est de sortir ce bois de la forêt. Il ne faut pas perdre de vue la valeur que l’éclaircie apporte au peuplement restant. Une éclaircie dans un ancien taillis sous futaie (les fameux groupes d’amélioration des PSG) relance au minimum de 20 % la croissance de notre réserve de bois d’œuvre et permet de structurer l’évacuation des bois.
Quelles solutions proposez-vous ?
L’investissement et la qualité ! Nous nous sommes regroupés entre gestionnaires en CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole) afin d’investir dans du matériel de transformation moderne. La CUMA réunit aujourd’hui huit adhérents dont trois groupements forestiers, soit plus de 280 propriétaires dont les forêts sont certifiées PEFC. Nous récoltons et distribuons deux types de produits fendus, majoritairement du charme :
- le bois de chauffage en qualité « standard » qui a séché sous hangar entre six et quinze mois;
- le bois de chauffage « haute qualité séchoir » garanti à moins de 20 % d’humidité. Le séchage est naturel ou assisté avec un séchoir associé qui est ventilé par une chaudière alimentée par des plaquettes forestières.
Depuis l’année dernière, nous apportons un service supplémentaire puisque l’ensemble des bois vendus sont nettoyés grâce à un crible, de façon à enlever un maximum de déchets et de limiter l’encrassement des appareils et conduits autant que possible.
Qu’est-ce qui freine aujourd’hui la structuration de la filière ?
L’ennemi n°1 du bois énergie reste le marché noir. Aujourd’hui, nous constatons l’absence de contrôle des camions de livraison chez les particuliers. Il est indispensable que la filière s’organise et que l’administration renforce les actions. C’est toute la valorisation du bois énergie et la structuration de l’aval qui en pâtit. Les propriétaires sont les premiers acteurs de ce changement en contractualisant la vente de leur bois !
Quels soutiens avez-vous rencontrés ?
Le levier vertueux de départ repose sur les subventions. Sans elles, nous ne nous serions pas aventurés dans la CUMA. Aujourd’hui, cette structure emploie 1,5 équivalent temps plein réparti sur quatre postes différents afin de livrer 3 500 stères de bois transformé par an. Notre but est d’arriver à 5 000 ! Et nous y parviendrons par la qualité de nos produits et par la valeur ajoutée que nous créons pour les sylviculteurs et les produits proposés.