Rémanents et risque incendie

Il est de plus en plus fréquent qu’à la suite d’une coupe de bois, randonneurs, promeneurs du dimanche, voisins et autres citoyens courent chez leur maire en criant au massacre pour se plaindre de la déforestation, d’un chantier digne de Beyrouth… sans parler des scandales et pétitions qui poussent sur les réseaux sociaux.

Or Couper du bois pour faire vivre la forêt durablement est une nécessité on ne peut plus normale et la production de rémanents est incontournable.

En outre, dans notre région Sud où il est de plus en plus question de feux de forêts et du risque qui va s’accroitre avec les évolutions programmées du climat, la présence de rémanents de coupe est considérée comme un risque supplémentaire non acceptable. Il est donc  naturel que les citoyens s’alarment et demandent des explications.

À nous, forestiers, d’aider les maires à leurs apporter les réponses objectives qui pourraient les rassurer.

Première question : Que faire des rémanents après une coupe de bois en forêt ?

Cette question ne se posait pas beaucoup en dehors du cercle fermé des propriétaires forestiers, des sylviculteurs, des gestionnaires forestiers, des exploitants forestiers, des bûcherons… c’est à dire des « professionnels de la forêt », du temps de nos pères et de nos grands-pères avant que les néo-ruraux des villes et autres découvreurs de la nature viennent se promener dans nos collines qu’ils estiment appartenir à tout le monde.

Deuxième question : Laisser les rémanents au sol accroit-il le risque incendie ?

La question devient plus fréquentes avec le retour des incendies de forêts (qu’il faut cependant moduler en ce qui concerne la France provençale comme le montre le graphique historique ci-dessous issu de la base de données Prométhée) et la médiatisation des catastrophes à venir liés à l’évolution probable de notre climat.

Quoiqu’on en pense, le risque existe et quelles que soient les précautions la probabilité d’un super-grand feu, pire que les feux de 1990 et 2003, n’est pas nulle.

Les rémanents sont de la biomasse combustible

Il n’y a aucun doute : une fois démarré (point de départ qui malheureusement est très rarement naturel), un feu se propage quand il y a de la matière combustible à brûler. Les rémanents au sol sont de la biomasse combustible qui met un certain temps suivant les essences et l’humidité à perdre ce pouvoir (en tout état de cause plus d’une année et donc au moins un ou deux étés).

Si en plus la température est élevée, la sécheresse est passé par là et il y a du vent, il est évident que ce seront des facteurs aggravants. Si on ajoute les difficultés d’accès pour les secours et l’arrivée de la nuit pour que les moyens aériens ne puissent être mis en œuvre, on comprend aisément quelles sont les conditions statistiquement les plus favorables pour qu’un feu provoqué par l’homme, par inconscience, par accident, mais aussi par malveillance (en général les pyromanes connaissent mieux que quiconque les conditions optimales pour commettre leurs crimes) se développe avant qu’on puisse commencer à le fixer.

La gestion durable des forêts

S’il y a des rémanents, c’est sans conteste parce qu’il y a des coupes. Donc, il suffirait d’interdire les coupes !!!

Avec un tel raisonnement on pourrait aussi prêcher que si on rasait entièrement les forêts il n’y aurait plus besoin de s’inquiéter des feux de forêt.,

À ce stade il est nécessaire de rappeler que :

  1. La forêt française métropolitaine couvre 30 % de la surface de l’hexagone. Elle est en croissance régulière depuis le 19ème siècle. Elle est pour 75% de sa surface la propriété de 3,5 millions de propriétaires privés qui ont l’obligation de la gérer durablement en respectant en priorité le Code Forestier, mais aussi d’autres codes, lois, décrets, arrêtés régionaux et départementaux, voire parfois municipaux.
  2. Le Code Forestier rappelle aux propriétaires privés et publics (État et collectivités, dont les forêts sont soumises au Régime Forestier et gérées par l’ONF) la multifonctionnalité de la forêt :
    1. production de bois (bois d’œuvre, bois industrie et bois énergie),
    2. services environnementaux (biodiversité, absorption de CO²,  photosynthèse, stockage de carbone, protection des sols, filtrage de l’eau…)
    3. fonction sociale (paysage, loisirs… dont la chasse qui contribue notamment à l’équilibre sylvo-cynégétique).
  3. La gestion durable d’une forêt implique que chaque propriétaire, à partir d’une certaine surface, exprime ses intentions de gestion (coupes et travaux) dans un Document de Gestion Durable (DGD) qui doit être instruit et approuvé, pour les forêts privées par la délégation régionale du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), qui est l’établissement public national dont c’est la mission.
  4. Dans chaque région, cette délégation régionale, appelée CRPF, a rédigé un Schéma Régional de Gestion Sylvicole (SRGS), approuvé par le ministre, que chaque propriétaire doit respecter dans son DGD. Pour les surfaces supérieures à 25 hectares, ce DGD s’appelle un Plan Simple de Gestion ou PSG et porte d’autres noms tels que RTG ou CBPS pour les surfaces plus petites.

Une coupe est une opération de gestion durable

Il est plus que normal d’effectuer des coupes, y compris parfois des coupes rases de surface limitée, prévues dans le DGD et donc conformes au SRGS, au moment opportun.

Faire une coupe est une opération de gestion qui a des aspects techniques et économiques qui font l’objet d’un contrat commercial.

En général le propriétaire, aidé par un gestionnaire professionnel ou un expert forestier, vend la coupe à un « exploitant forestier » qui la fait réaliser par un « entrepreneur de travaux forestiers » (bûcheron, de plus en plus équipé de machines imposantes) et en vend le produit à un client transformateur (scierie, papetier, énergéticien…) ou à un particulier (bois de chauffage).

Couper des arbres est traumatisant

Une coupe est toujours un « traumatisme », pour les arbres d’abord, pour le propriétaire également.

Il est obligatoire (c’est la base de la gestion durable) qu’il veille, après la coupe, à la régénération naturelle ou artificielle (plantations) de sa forêt. Il lui est fait notamment obligation de replanter si, 5 ans après la coupe, il constate que la régénération n’est pas satisfaisante. Ce peut être alors pour lui un « traumatisme économique ».

C’est aussi un « choc » visuel, temporaire car la forêt repousse assez rapidement, mais pas un massacre, pour le promeneur et pour tous ceux qui sont victimes du « syndrome d’Idéfix ».

Au point que certains « hyper-verts » (pervers ?) vont aujourd’hui jusqu’à souhaiter inscrire le « statut de l’arbre » dans la constitution française.

Tout est bon dans l’arbre, les souches comme les rémanents

Mais toute la biomasse n’est pas « exportée » hors de la forêt pour être vendue et utilisée par les transformateurs ou les clients finals.

  • Les souches et les racines restent en général dans le sol, notamment celles des feuillus qui « rejettent sur souche », ce qui n’est pas le cas des résineux pour lesquels il faut garder des semenciers, mais qui savent aussi très bien recoloniser les surfaces coupées.
  • Les gros bois (les troncs droits et qui ont élagués) sont débardés, triés puis transportés pour être sciés et donner du bois d’œuvre (poutres, charpentes, planches, meubles…).
  • Les bouts coniques des troncs, les troncs de faible diamètres, les grosses branches (de plus de 7 cm de diamètre), sont destinés à la trituration (papeterie) ou à la production d’énergie (plaquettes, bûches…)
  • Dans certains cas, l’exploitation peut être en « arbre entier » quand les conditions techniques et économiques (prévues au contrat) le permettent. Les houppiers sont alors broyés en forêt et les « plaquettes forestières » ainsi déchiquetés sur place sont immédiatement déversées dans un camion spécial à fond mouvant. Cela suppose des configurations de terrain et d’accès qui s’y prêtent.
  • Reste le petit bois (en général provenant des houppiers) qu’on appelle « rémanent de coupe ». Ces bois qui n’ont pas de valeur marchande, sont laissés sur le terrain. Ils sont constitués de branches de diamètre plus ou moins important selon les peuplements et les débouchés (en général de moins de 7 cm de diamètre), de brindilles et de feuilles (ou aiguilles).

Faire des coupes est bon pour la forêt

  • Une forêt dans laquelle les coupes sont régulièrement effectuées est une forêt mieux protégée. Le propriétaire s’intéresse à la gestion et réinvestit souvent une partie des revenus dans des travaux d’amélioration ou d’équipement de sa forêt.
  • Les massifs sont plus facilement accessibles (notamment aux pompiers) grâce aux pistes forestières et traînes de débardage ouvertes, ou ré-ouvertes, lors de l’exploitation des bois alors que les peuplements étaient très souvent impénétrables avant la coupe.
  • De plus, les peuplements sont « purgés » des arbres malades, mal conformés ou en surnombre, ce qui est profitable aux arbres conservés (moindre concurrence pour l’eau et les éléments nutritifs du sol et pour la lumière).
  • Enfin, la masse combustible est réduite du fait des bois récoltés.

Que faire des rémanents qui, de toutes façons, sont inévitables ?

Ces rémanents, dont la quantité est variable, devraient rester au sol car ils contiennent les nutriments nécessaires au maintien, et même à l’amélioration, de leur fertilité. Les exporter, même en partie (et pire en totalité) est le moyen le plus efficace pour appauvrir les sols forestiers qui finiront un jour en landes ou garrigues.

Ceci-dit il est vrai que pendant le temps nécessaire à leur décomposition naturelle, ça fait désordre aux yeux des gentils rurbains qui pensent que couper un arbre équivaut à de la déforestation et il est certain que cette biomasse au sol est un combustible en cas d’incendie, surtout pendant la période où elle est encore sèche et que les organismes xylophages n’en sont pas assez venus à bout.

Tout d’abord, sauf dans les cas des Obligations Légales de Débroussaillement (OLD) et des ouvrages de Défense des Forêts Contre les Incendies (DFCI) il n’y a aucune obligation générale concernant le traitement des rémanents qui peuvent notamment être laissés au sol (évidemment hors des voies et pistes ouvertes à la circulation)) jusqu’à leur décomposition.

Inflammabilité et combustibilité

Vis à vis du risque incendie, il faut distinguer l’inflammabilité du peuplement (la facilité avec laquelle il s’enflamme au départ du feu), et la combustibilité du peuplement (sa capacité à propager le feu en se consumant), qui est liée à la masse combustible à brûler.

Si du point de vue de l’inflammabilité, les branches sèches, et particulièrement les feuilles et les branchages fins, constituent évidemment une matière très inflammable (d’un point de vue technique, le taux d’humidité de ces matériaux fins est constamment en équilibre avec l’humidité de l’air, et donc très sec en été, du point de vue de la combustibilité, la biomasse globale aura diminuée puisqu’il y a eu enlèvement de bois et plus la masse combustible sera répartie sur le sol, moins elle risquera de se propager aux houppiers.

Combien de temps dure le risque ?

En général, au terme d’un an tous les éléments fins des rémanents les plus inflammables comme les feuilles et les fines branches sont décomposés ou sont incorporés à la litière. On peut dire à ce stade, que l’inflammabilité, qui va aller en diminuant, est encore peu différente par rapport à l’état antérieur. Au terme de 5 ans, seules les branches d’un diamètre supérieur à 7 cm sont encore visibles, en grande partie décomposées, elles ne peuvent plus brûler et au terme de 10 ans, plus rien n’apparaît, on distingue encore quelques souches de résineux ou quelques grosses branches détruites par un simple coup de pied.

Que faire des rémanents ?

Les différentes solutions après exploitation sont les suivantes :

  • Les récolter pour les transformer en plaquettes,
  • Exploiter l’arbre entier par broyage direct, donc sans laisser de rémanents,
  • Les « ratisser » et les rassembler en tas ou en andains,
  • Les rassembler et les brûler (attention aux interdictions),
  • Les broyer à même le sol à l’aide d’un gyrobroyeur,
  • Les laisser dispersés sur le parterre de la coupe,
  • Les laisser dispersés, mais après démantèlement.

Chacune présente des avantages et des inconvénients. Le choix doit se faire de manière objective et selon les exigences que l’on se donne, mais jamais sur des à priori non justifiés.

Quelles sont les recommandation du CRPF Provence-Alpes-Côte d’Azur ?

Le Centre Régional de la Propriété Forestière de Provence-Alpes-Côte d’Azur a rédigé une note de doctrine sur le traitement des rémanents. Cette note est accessible et téléchargeable en cliquant ici. en rappelant que chaque situation est à analyser comme un cas particulier.

  1. Éviter l’exportation de la totalité des rémanents, dont les bénéfices sont bien modestes par rapport aux inconvénients. En cas d’exploitation d’arbres entiers, à n’effectuer que sur sols assez riches, il faut envisager une fertilisation pour compenser les pertes d’éléments. Si possible, retourner en forêt les cendres (froides bien sûr !) de vos inserts ou chaudières à condition de les disperser.
  2. Éviter la mise en andains des rémanents, sauf nécessité, et dans ce cas si possible les broyer.
  3. Éviter si possible le brûlage, qu’il se fasse en andains ou en tas préalablement rassemblés.
  4. N’effectuer le broyage que lorsqu’il est nécessaire, soit:
    1. Dans les zones soumises aux obligations légales de débroussaillement.
    2. Dans les espaces fréquentés par le public.
    3. S’il est nécessaire de circuler dans la parcelle (reboisement, etc.).
    4. Par volonté réfléchie du propriétaire pour son usage personnel.
    5. Pour faciliter la pratique du pastoralisme.Il n’est pas toujours nécessaire de tout broyer. Conserver quelques bouquets d’arbustes peut aider au maintien des populations d’insectes pollinisateurs (notamment les abeilles) et améliorer la biodiversité.
  5. Dans tous les autres cas, laissez les rémanents répartis sur le sol, avec quelques recommandations :
  • Exiger un démantèlement des houppiers en tronçons de faible longueur (2 mètres ou moins), notamment dans les conifères où les bois de faible diamètre n’ont pas de valeur.
  • En cas d’éclaircie résineuse, mettre en place des cloisonnements pour une exploitation mécanisée, les rémanents regroupés sur ces layons limiteront l’impact des engins sur le sol (moindre tassement).

Conclusion

Il ne faut pas s’inquiéter outre mesure de la présence de rémanents après les coupes, ce ne sont pas eux qui augmentent les conséquences d’un départ de feu mal maîtrisé rapidement.

Et surtout se rappeler qu’en forêt il est interdit de fumer et qu’on n’éteint pas un mégot avec un Canadair.