Article publié dans de Forêts de France n°610 (janvier/février 2018). Pour en savoir plus sur Forêts de France et/ou vous abonner : cliquez ici
Quelle est la cause du morcellement de la forêt privée ? Il faut le chercher dans l’émiettement de la propriété agricole du 19e siècle et dans la déprise agricole. Depuis 150 ans, les petites parcelles agricoles deviennent de petites forêts.
Des terres abandonnées par l’agriculture
En France, plus de 2 millions de propriétaires possèdent moins d’un ha de forêt. Pourquoi la forêt est-elle si morcelée ? On attribue souvent cet émiettement au code civil napoléonien qui généralisa l’obligation du partage des biens à chaque succession. Mais il est loin d’en être le principal responsable. En effet, la forêt privée s’est réduite à 5 millions d’ha vers 1860 de sorte que 60 % de ses 11 millions d’ha actuels sont issus du reboisement spontané ou de main d’homme des terres abandonnées par l’agriculture depuis 150 ans. Or, « le premier recensement général de l’agriculture de 1892 [1] comptait 5,8 millions d’exploitations agricoles, dont 4 millions de moins de 5 ha et 2 millions de moins de 1 ha, et ces très petites exploitations furent les premières à être abandonnées » explique Thierry du Peloux, juriste au CNPF. Le morcellement de la forêt privée provient donc du grand morcellement préexistant des parcelles agricoles. Pour un paysan qui n’avait qu’un ha, il était vital de le partager lors d’une succession. Mais dès lors qu’il avait abandonné ses terres qui s’étaient boisées, il n’y avait plus de raison de continuer d’en partager les parcelles : loin de l’aggraver, le reboisement a stoppé le morcellement du foncier rural d’avant 1900.
« Des recherches historiques sur l’évolution du foncier rural au 19e siècle » poursuit Thierry du Peloux, « montrent un accroissement de plus de 50 % du nombre de parcelles cadastrales agricoles entre 1800 et 1870 [2], qui reflète un double mouvement de morcellement des exploitations et d’acquisition croissante de la terre par les agriculteurs. De 1862 à 1882, le nombre d’exploitants propriétaires des terres qu’ils exploitent augmente ainsi de 360 000 [3], de sorte qu’au recensement de 1892, ce sont les trois quarts des 5,8 millions d’exploitants qui sont propriétaires de tout ou partie des terres qu’ils exploitent. C’est de cela que la forêt privée a hérité quand l’exode rural a conduit à l’abandon puis au boisement de ces micro propriétés agricoles ». Aujourd’hui, ces petites parcelles ont parfois des effets très positifs. L’Inventaire forestier national, vers 2000, évaluait ainsi à 220 000 ha la surface des bosquets de 5 à 50 ares épars au milieu des terres agricoles, qui sont intégrés dans la surface boisée privée. A 27,5 ares par bosquet, cela fait 800 000 parcelles boisées privées non remembrables et qu’il est judicieux de préserver pour leur rôle écologique et paysager.
Les propriétés de taille moyenne augmentent
Si l’on compare l’enquête forestière Daubrée de 1908 avec les récentes enquêtes sur la structure de la forêt privée on constate qu’en un siècle, loin de diminuer, les forêts privées de plus de 10, de 25 ou de 100 ha ont beaucoup augmenté en nombre et en surface. Ce phénomène de restructuration s’explique notamment par un constat de l’enquête sur la forêt privée de 1976-1983 [4] : 75 % des propriétaires forestiers privés de 1 ha et + possédaient aussi 1 ha et + de terres agricoles ; une extension de 40 000 ha/an de la surface boisée induit donc 30 000 ha/an d’agrandissement de propriétés forestières préexistantes.
« Cela dit, conclut Thierry du Peloux, le nombre et la surface des très grandes forêts privées de 500 ha et plus se sont sans doute réduits du fait des problèmes successoraux ; mais ce problème a été sérieusement atténué par la création des groupements forestiers en 1954 puis par le régime Monichon qui instaura en 1959 la réduction des droits de succession sur les forêts ».
[1] Voir « Histoire de la France rurale » sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, ed du Seuil, 1977, tome IV, p. 193-194 et 227.
[2] Voir « La Révolution inachevée 1815-1870 » de Sylvie Aprile, ed. Belin, 2014, p. 133
[3] Voir « Histoire de la France rurale », précitée, tome III p. 223.
[4] « Enquête sur les structures économiques de la sylviculture 1976-1983 », ministère de l’agriculture, résultat informatique non publié.
Interview : Dans l’Aisne, des aides incitatives du département
Animateur chez Fransylva Aisne et conseiller forestier à la Coforaisne (Coopérative forestière de l’Aisne), Étienne Longatte met en lumière les dispositifs d’encouragement mis en place par le département pour permettre aux propriétaires privés de regrouper leurs parcelles forestières.
Quel état de l’art de la forêt dans l’Aisne ?
La gestion durable des forêts représente un enjeu environnemental et économique majeur pour l’Aisne, qui est le premier département forestier des Hauts-de-France. Avec seulement 26 % de ses peuplements âgés de moins de 40 ans, la forêt privée de l’Aisne se caractérise par un vieillissement général peu porteur pour les générations futures. Elle couvre pourtant près des 3/4 de la surface forestière du département. Ce patrimoine de 105 000 ha représente un potentiel économique majeur pour le territoire puisque la mobilisation du bois draine une activité à la fois locale, durable et non délocalisable. Or, plus la surface forestière est importante, plus il est facile de gérer la forêt et donc de mobiliser la ressource bois.
Quels sont les freins actuels à la vente de parcelles forestières ?
Pour permettre une sylviculture durable, on considère que l’unité forestière doit occuper au minimum deux hectares, voire trois ou quatre selon les secteurs. Dans l’Aisne, près de 40 000 propriétaires forestiers possèdent moins d’un hectare. Ces petits propriétaires ont un véritable intérêt à regrouper leurs parcelles car c’est en atteignant une surface raisonnable qu’ils pourront à la fois simplifier leur gestion et mobiliser leur bois. Fransylva Aisne incite ces propriétaires à se regrouper, échanger ou à vendre les petites surfaces privées. Mais les frais de mutation, à la charge de l’acheteur, sont parfois supérieurs à la vente du massif et constituent un véritable frein à la vente du foncier forestier.
Quel intérêt pour les propriétaires forestiers privés de l’Aisne d’améliorer leur foncier ?
En premier lieu, il y a bien entendu le potentiel sylvicole. L’amélioration du foncier forestier facilite la gestion forestière et offre la possibilité d’une meilleure mobilisation des bois. D’un point de vue plus pratique, l’acquisition d’une nouvelle parcelle peut également rendre accessible une autre parcelle, qui ne l’était pas jusqu’alors.
Quels dispositifs a mis en place le département pour favoriser le remembrement ?
Le conseil départemental a mis en place deux procédures incitatives : les Échanges et cessions d’immeubles forestiers (ECIF) et les Aménagements Fonciers Agricoles et Forestiers (AFAF).
L’ECIF est fondé sur le volontariat : deux propriétaires forestiers privés décident d’échanger une ou plusieurs de leurs parcelles lorsqu’ils identifient un potentiel. Le conseil départemental de l’Aisne finance alors entre 50 et 80 % du transfert de propriété (publicité foncière et frais de géomètre), qu’il soit fait par acte administratif ou par acte notarié. C’est un réel dispositif incitatif, dont l’existence est par ailleurs communiquée en amont aux Axonais, lors de certains conseils municipaux traitant des enjeux fonciers.
L’AFAF est plus contraignant : lorsqu’une commune identifie un potentiel de regroupement de parcelles forestières, les propriétaires ne peuvent pas refuser ce nouveau découpage. Le conseil départemental finance les opérations de remembrement, notamment les frais du géomètre chargé de définir et de recréer de nouvelles unités.