Commentaires de Gérard Gautier, président de Fransylva 13
Après débat avec ceux de nos amis forestiers qui ont vu ce film, il apparaît que celui-ci se veut un voyage au cœur de la « sylviculture industrielle ». Il dénonce la mécanisation lourde, la récolte de « belles » grumes pour en faire du bois énergie, l’utilisation de produits phytosanitaires et engrais, les coupes rases, l’export du bois vers la Chine, la monoculture et la gestion en futaie régulière et enfin la réforme de l’ONF. Il est principalement tourné en forêt privée
Le parti pris est négatif et dénonce les « dérives » de la sylviculture, en préconisant l’arrêt des coupes rases, des pesticides, de la plantation…
Un premier retour est qu’une semaine après sa sortie, il ne fait pas recette. Pour ceux qui l’ont vu et même pour des forestiers, à part quelques belles prises de vue en forêt, le scénario n’est pas palpitant… (un peu à l’inverse de « La vie secrète des arbres » qui se lit facilement).
Dans notre région, je n’ai trouvé que « l’Espace Fernandel » à Carry le Rouet qui l’a programmé le 10 octobre 2018.
Les distributeurs n’ont pas du trouver notre région très captive.
Au delà de ce qui est violemment dénoncé, comme peuvent être dénoncé les excès de l’agriculture intensive ou le scandale de l’abattage des animaux dans certains abattoirs, si nous reprenons les différents thèmes à charge :
Sur la gestion « dite » durable
La diversité des propriétés forestières et des opérateurs en forêt implique que les pratiques et les choix de gestion soient variés. Les organismes de recherche et de développement s’efforcent de diffuser des bonnes pratiques, qui évoluent d’ailleurs au cours du temps.
Les organisations professionnelles relaient les conseils de gestion durable à leurs membres. Par ailleurs, il est vrai que le contexte, tant climatique qu’économique, change lui-aussi et que les forestiers s’y adaptent en temps réel.
Certes, des pans entiers de nos forêts dans diverses régions ont été au cours des siècles façonnées par la main de l’homme avec des espèces adaptées, mais cela existe depuis bien avant Louis XIV et Colbert… et bien peu de nos forêts françaises sont 100 % naturelles. C’est une évidence historique dont l’effet pervers du progrès conduit à un systématisme qui n’est heureusement pas généralisé hors les zones de grande production pointées dans le film : le Morvan, les Landes…
Quant à la soi disant monoculture du douglas, nous récoltons aujourd’hui ce que nos grands parents ont (bien heureusement) planté après les désastres de la guerre grâce au FFN.
Si une parcelle doit faire aujourd’hui l’objet d’une plantation, le forestier cherchera avant tout à déterminer l’essence la mieux adaptée. Le douglas pourra faire partie des réponses.
Mais, pour ce qui est des plantations, on ne compte que 2 millions d’hectares plantés sur 16 millions d’hectares de forêt en France métropolitaine.
Le film ne rend donc pas bien compte de la réalité de nos forêts !!!
Sur la mécanisation
Ce n’est pas la mécanisation qui met en danger une ressource ou un milieu naturel, mais le niveau de pression qui s’exerce sur ce milieu. Les engins forestiers actuels sont adaptés aux sols sensibles pour limiter leur impact (6 ou 8 roues, chenilles extra larges, pneus larges basse-pression). Il est intéressant de noter qu’une pelle à chenille de 14 tonnes équipée de chenilles élargies génère moins de pression au sol par cm2 qu’un randonneur.
La circulation des machines s’effectue sur des passages définis à l’avance, de sorte qu’elles ne pénètrent pas dans l’intégralité de la parcelle, limitant ainsi le tassement du sol et les blessures aux arbres.
Le recours à la mécanisation permet également de limiter les risques inhérents au métier de bucheron (la moitié des accidents mortels survenus ces 10 dernières années lors d’abattage auraient pu être évités si l’exploitation avait été mécanisée) et à réduire les troubles musculo-squelettiques très fréquents chez les ouvriers forestiers.
Sur le Bois Énergie
L’usage du bois comme source d’énergie est séculaire.
Certes au fil des siècles les modes de chauffage ont évolués en passant par l’électricité produite par les énergies fossiles et nucléaires.
Revenir au bois, c’est utiliser la 1ère source d’énergie renouvelable en France, soit 40 % de la production d’énergie renouvelable française. C’est aussi un moyen de limiter le recours aux énergies fossiles et nucléaires.
La récolte de bois énergie, via l’éclaircie des jeunes arbres contribue au bon développement de la forêt et à la croissance des arbres de qualité sans attaquer le capital de bois d’œuvre.
C’est permettre aux forestiers qui ne pouvaient matériellement pas engager les frais de dépressage et d’éclaircis de pouvoir maintenant les réaliser.
Ceci est particulièrement vrai dans nos régions méditerranéennes.
Le bois énergie n’est qu’une composante de la filière bois. Ce sont des « connexes » de l’exploitation forestière et des sciages.
Pour les forestiers le bois énergie ne doit pas être une filière en soit.
Broyer un billon de « bois d’œuvre » est pour nous totalement inacceptable, encore faut-il que le marché soit présent, c’est bien tout le sens de la démarche des forestiers méditerranéens et de notre travail sur la valorisation du pin d’Alep.
Sur l’utilisation de produits phytosanitaires et engrais
La réglementation est extrêmement ferme sur l’utilisation de produits phytosanitaires en forêt. Très peu de produits sont homologués et ils sont utilisés essentiellement au début du renouvellement, afin que les semis naturels ou les jeunes plants puissent installer leurs racines et grandir. Les forestiers y ont recours lorsque les débroussaillements mécaniques sont inadaptés à la végétation. Ça n’est en aucun cas comparable à ce qui est utilisé dans l’agriculture.
Le référentiel PEFC, auquel la plupart des propriétaires forestiers a volontairement adhéré, tend à limiter au maximum l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et l’usage des fertilisants.
Sur les coupes rases
Elles sont surtout pratiquées dans les plantations résineuses, dans les taillis de chênes ou après des catastrophes, notamment les tempêtes ou les dépérissements.
La plupart du temps il s’agit de coupes de régénération définitive en futaie régulière : dans ce cas, tous les arbres de la parcelle ont été coupés mais l’on veille en amont à ce que, grâce à la régénération naturelle, tous les semis des jeunes arbres soient au sol et que la forêt de demain soit déjà en devenir.
Par contre, avec les effets du changement climatique, si l’essence principale n’est plus adaptée, la plantation d’une ou plusieurs autres essences de remplacement seront nécessaires.
Dans les parcelles encore gérées en taillis, notamment avec le chêne (bois bûche) la coupe prélève tous les brins, mais les souches en produisent de nouveaux rapidement.
Sur les exportations en Chine
La demande chinoise est là et c’est un fait.
Attention cependant à ne pas accentuer le phénomène et à bien se référer aux chiffres de la filière. Ce n’est pas 20 % de la récolte de chêne qui est exportée vers la Chine, mais plus exactement 11 % (chiffre de 2016).
Faut-il s’en alarmer ? Non : la demande chinoise contribue localement à une consolidation des prix et des mises en vente de bois, parfois d’une qualité difficilement exploitable en France. La récolte induite par ces exportations est alors valorisable pour l’entretien de la forêt et constitue une source complémentaire de revenus utilisables pour reconstituer le patrimoine forestier.
Un atout supplémentaire pour la filière car aujourd’hui il n’existe plus d’aide significative pour le reboisement et le renouvellement de nos forêts (ex FFN)
Par contre il ne faut pas perdre de vue que chaque forestier préfèrerait vendre son bois en circuit court à prix égal…
Sur la gestion en futaie régulière
La futaie régulière est un type de sylviculture très courant en France, depuis des siècles. Son principe est le suivant : tous les arbres d’une même parcelle ont à peu près le même âge et des coupes d’éclaircie sont régulièrement effectuées au fil des ans pour diminuer leur densité. Cela permet le développement des arbres les plus beaux et les plus intéressants. À l’échelle de la forêt, différentes classes d’âge sont représentées. L’ambiance forestière varie suivant l’âge des peuplements.
La pertinence du choix entre futaie régulière et irrégulière dépend du contexte. Il n’y a pas de traitement meilleur que l’autre mais une réponse adaptée suivant les enjeux techniques (type d’essences, sols, état sanitaire des arbres, qualité du bois recherché…), sociaux (enjeux paysagers) et environnementaux. La répartition des classes d’âge à l’échelle de la forêt est identique avec les deux modes de traitement. En termes de biodiversité, la futaie irrégulière n’est pas un mode de gestion sylvicole « plus bénéfique » que la futaie régulière. Les deux types de futaies présentent tous deux un intérêt en termes de biodiversité, mais de manière différente. Dans le cas de la futaie irrégulière, la biodiversité propre à chaque classe d’âge d’arbres est présente sur la parcelle. Dans le cas de la futaie régulière, un seul type de biodiversité est présent sur la parcelle (celui de l’âge du peuplement) mais lorsque qu’arrivent les coupes de régénération celles-ci créent des effets de lisière et des milieux très ouverts très favorables à d’autres types de biodiversité : herbacées, rapaces (ayant besoin d’espaces ouverts comme terrain de chasse), oiseaux nichant au sol, insectes divers. Il n’y a pas plus de vieux bois en futaie irrégulière qu’en futaie régulière.
En termes de travaux, la futaie régulière ne nécessite pas davantage de travaux que la futaie irrégulière, les interventions ne sont tout simplement pas les mêmes.
Gérard Gautier
Camp Jussiou, le 21 septembre 2018